éclairage des fantassins virtuels du Kremlin


Livre. Leur renommée a dépassé toutes les frontières, mais bien peu connaissent le parcours de ces illustres anonymes. Sauf Daniil Turovsky. Dans Une brève histoire des hackeurs russes (Solin/Actes Sud, 400 pages, 23,80 euros), le journaliste de Meduza, un site indépendant en exil, nous plonge dans l’univers, sombre et fascinant, des fantassins virtuels à la solde du Kremlin. Au commencement, cependant, chacun vivait dans son monde : tandis que leurs aînés amassaient des fortunes douteuses en accaparant les richesses du pays sur les décombres de l’URSS, des ados commençaient, eux, à s’enrichir incognito derrière leurs ordinateurs.

En 1998, l’apparition de la version russe du magazine américain Hacker, qui publie, dès son premier numéro, le mode d’emploi du piratage de cartes bancaires, ouvre des horizons nouveaux à de jeunes étudiants férus d’informatique ou de mathématiques et vivant dans des « villes provinciales pauvres où il n’y avait rien à faire ». La revue deviendra leur bible.

Dès lors, certains consacrent toute leur énergie au « cardage » (piratage de cartes et comptes bancaires), forment des groupes et ciblent essentiellement les Etats-Unis. Leur seule règle : « Ne pas voler [leur] propre pays. » Daniil Turovsky dresse ici des portraits truculents de hackeurs russophones (Russes, Biélorusses et autres ressortissants d’ex-pays soviétiques travaillent en réseau), dont beaucoup seront traqués par le FBI, interpellés à l’étranger, et condamnés à de lourdes peines aux Etats-Unis – allégées en cas de coopération. Leurs performances attirent l’attention du pouvoir. Et le tournant « patriotique » sera vite pris.

« Des esprits libres » selon Poutine

La seconde guerre russe en Tchétchénie (1999-2009) sera ainsi le premier conflit dans lequel les hackeurs « se sont rangés au côté de l’Etat », en attaquant les sites des indépendantistes tchétchènes. Très vite aussi, l’opposition russe sera ciblée. Les services de sécurité (FSB) supervisent des indépendants repérés et enrôlés contre « l’oubli » de leurs affaires criminelles. Puis, à partir de 2013, le FSB et la direction du renseignement militaire (GRU) recrutent leurs propres cyberforces, à la fois gardes-frontières, espions et combattants virtuels, dont les noms vont vite devenir connus (APT28, Fancy Bear…).

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Quatre ans plus tard, en 2017, alors que l’ingérence russe dans les élections présidentielles américaine puis française n’en finit plus de faire scandale, Vladimir Poutine célèbre, à sa façon, leur collaboration – tout en niant l’implication de l’Etat. « Les hackeurs, déclare-t-il au forum économique de Saint-Pétersbourg, sont des esprits libres, comme les peintres. S’ils sont d’humeur le matin, ils se lèvent et se mettent à peindre. C’est pareil pour les hackeurs : à leur réveil, ils lisent que quelque chose se passe dans les relations entre Etats, et comme ils ont la fibre patriotique, ils font ce qu’ils savent faire… »

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